Avec cette ligne qui, en soi est une, la dualité apparaît dans le monde.
En même temps qu’elle, sont posés le haut et le bas, la droite et la gauche, le devant et le derrière, en un mot, le monde des opposés. L’observation de la manière dont sont disposés dans le temps et dans l’espace les huit trigrammes primitifs va nous aider à comprendre comment de la ligne poutre faîtière, les anciens Chinois, en sont arrivés au Wuki (le cercle comprenant les opposés).
Nous devons d’abord observer la succession des trigrammes par Fo Hi, et qui existait donc déjà à l’époque de la rédaction du livre des transformations, sous la dynastie Tchéou.
Cette succession est appelée ordre du ciel antérieur ou ordre antérieur au monde. Les différents trigrammes sont rattachés à la rose des vents de la manière suivante (on remarquera que les Chinois placent le sud en haut) :
K’ien (le ciel) et K’ouen (la terre), déterminent l’axe de direction nord-sud. Puis vient la relation Ken (la montagne) et Touei (le lac).
Leurs pouvoirs sont mis en rapport parce que le vent souffle de la montagne vers le lac et que les nuages montent du lac vers la montagne.
Tchen (le tonnerre) et Souen (le vent) se renforcent mutuellement lorsqu’ils apparaissent.
Li (le feu) et K’an (l’eau) sont opposés de façon irréconciliable dans le monde des phénomènes. Toutefois, dans les relations antérieures au monde, leurs effets ne se contrarient pas mais se maintiennent en équilibre.
Quand les trigrammes se mettent en mouvement, on observe un double mouvement :
- D’une part, le mouvement habituel (dans le sens des aiguilles d’une montre), qui s’additionne et se répand dans le cours du temps et par lequel sont déterminés les événements qui tombent dans le passé.
- D’autre part, un mouvement contraire, rétrograde, qui se replie et se contracte dans le cours du temps et par lequel se forment les germes de l’avenir.
Cela peut s’exprimer dans l’image suivante :
- Si l’on comprend la manière dont l’arbre se concentre dans la graine, on comprend le déploiement futur de la graine en arbre.
Voyons maintenant la succession des trigrammes selon l’ordre du roi Wen, appelée succession du ciel postérieur ou ordre intérieur au monde.
Les trigrammes sont ici sortis de leur ordre d’opposition par couples et présentés selon la succession temporelle de leur apparition dans la manifestation cyclique de l’année.
L’année commence à manifester l’action créatrice dans le signe Tchen (l’éveilleur), qui est placé à l’Est et signifie le printemps.
Le printemps naît : Les germes et les bourgeons apparaissent dans la nature. Ce moment correspond, dans la journée, au matin. Cet éveil est attribué au signe Tchen (l’éveilleur), qui jaillit de la terre sous forme de tonnerre et de force électrique. Puis viennent les douces brises qui renouvellent le monde végétal. Ce moment correspond au signe du doux, du pénétrant, Souen. Souen, a pour image, d’une part le vent qui dissout la glace rigide, d’autre part le bois qui se développe organiquement. L’action de ce trigramme est de faire que les choses se coulent en quelque sorte dans leur forme, se développent et croissent pour acquérir la forme préfigurée dans le germe. On arrive alors au point culminant de l’année, la mi-été, qui correspond dans la journée à midi.
C’est la place du trigramme Li (ce qui s’attache), la lumière. Ici les êtres s’aperçoivent mutuellement. La vie organique végétale passe au stade de conscience psychique. Il convient de noter que le signe Li occupe la place du sud qui, dans l’ordre antérieur au monde, était occupée par le trigramme K’ien, le créateur. Li, se compose essentiellement du trait inférieur et du trait supérieur qui se sont inclus le trait central de K’ouen.
Pour parvenir à une parfaite compréhension, il faut toujours se représenter l’ordre intérieur au monde comme transparent, avec l’ordre d’avant le monde luisant à travers lui.
Survient ensuite la maturité des fruits des champs qui est assurée par K’ouen, la terre, le réceptif. C’est l’époque de la moisson, du travail en commun.
Elle est suivie de la mi-automne sous le signe du joyeux, Touei, qui conduit l’année à la maturité et la joie, comme le soir le fait pour le jour.
Vient alors la saison rigoureuse ou doit se manifester ce qui a été accompli. Il y a du jugement dans l’air. Les pensées retournent de la terre au ciel, au créateur, K’ien. Un combat se livre. C’est au moment précis ou le créateur établit son règne que l’action de la puissance obscure est la plus forte à l’extérieur. C’est pourquoi l’obscur et le lumineux s’excitent mutuellement. Aucun doute sur l’issue de la lutte, car c’est seulement le résultat final des causes préexistantes qui vient subir le jugement du créateur.
L’hiver s’avance ensuite, dans le signe de K’an (l’insondable), situé au nord : à la place de la terre dans l’ordre antérieur au monde. K’an à pour symbole le ravin.
Vient alors le travail qui consiste à engranger les récoltes. L’eau ne refuse aucun effort mais se tourne toujours vers les endroits les plus profonds, ce qui fait que tout afflue vers elle ; de même, l’hiver dans le cycle de l’année et minuit dans celui du jour sont l’heure ou l’on recueille. Le trigramme Ken, l’immobilisation, dont l’image est la montagne, contient un sens mystérieux. Ici, dans la tranquillité d’une profonde retraite, la fin de toutes choses est intimement liée dans la graine à un nouveau commencement. Ainsi le cycle est fermé. Tout comme le jour ou l’année dans la nature, chaque vie, bien plus, chaque cycle d’événements vécus est un enchaînement qui relie l’ancien au nouveau.
Cela permet de comprendre pourquoi dans plusieurs des soixante-quatre hexagrammes, le sud-ouest signifie le temps du travail et de la communauté, et le nord-ouest le temps de la solitude, quand l’ancien est achevé et que le nouveau est commencé.
Si nous superposons les deux « cartes » du sage Fou Hi et du roi Wen, nous obtenons la roue des soixante quatre hexagrammes.
En observant maintenant, la disposition des hexagrammes dans la roue, nous constatons, qu’il y a une rupture brusque au trente et unième et au soixante-troisième hexagramme.
C’est une boucle qui rappelle le Tai-ki, symbole du Yin et du Yang.
Cette figure évoque toute la philosophie du Yi King : rien n’est jamais fixe, tout se transforme. Le Tai-Ki exprime l’aspect dynamique des opposés qui permettent d’engendrer le mouvement et donc la vie. Le Yi King est, symboliquement, un livre qui exprime les transformations de la nature. Êtres humains (microcosme) faisant partie de cette nature, les anciens Chinois ont codifié un système remarquable, permettant de connaître la graine et le développement d’une situation.
Avril 2005,
Claude SARFATI